Premier devoir de rentrée : vous parler d’un autre jeu rétro. Après le coup d’essai sur Carmageddon, place à un univers légèrement différent mais pas forcément moins violent avec l’inénarrable Fallout 2. D’aucuns seront peut-être surpris que je préfère parler de la seconde itération plutôt que de Fallout premier du nom, réputé meilleur – probablement parce qu’il l’est. Fallout 2 reste l’un de mes meilleurs souvenirs de joueurs débutant car pour une trame principale moins fouillée, l’ensemble de l’univers est plus dense et amène davantage de sujets intéressants. Ceci étant dit, je ne peux que vous recommander chaudement de (re)jouer aux deux, surtout pour ceux qui découvrent la série avec les versions de Bethesda (3, New Vegas et 4, bientôt 76), en profitant d’un temps de jeu nécessaire moindre que ce qui est proposé aujourd’hui pour les terminer sans y passer toutes vos nuits.
NB : Désolé pour la résolution des screens, mais le jeu était difficilement jouable dans sa résolution d’origine sur ma machine. Cliquez dessus pour les avoir en fullscreen.
Entre, Etre Élu
Pour nous rappeler qu’on vit dans un monde revenu à l’âge de la survie du plus fort et nous rassurer quand à la filiation d’avec son cynique aîné, Interplay nous gratifie d’une courte vidéo d’introduction reprenant la bande-son caractéristique et une présentation « à la Vault Tec ». Elle se termine évidemment mal, puisque l’on voit un nouvel Abri s’ouvrir avec toutes les promesses d’une vie à l’extérieur. Cette gentille famille se détache en contre-jour, faisant coucou à un curieux comité d’accueil : début d’une boucherie à coups de Minigun par ce qui se révélera être l’Enclave, une nouvelle faction du jeu. Le ton est donné, la noirceur et la cruauté du premier Fallout ne seront pas édulcorés dans sa suite.
A voir ici : Fallout 2 – Intro Movie
Rapide rappel du contexte, à ne pas lire pour ceux qui n’auraient pas encore mis les mains sur le premier opus. Après avoir sauvé le monde (comprendre : sauvé une partie de la Californie), l’habitant de l’Abri se retrouve mis à la porte par le Superviseur qui l’avait envoyé en mission à l’extérieur. Dans cette suite, on incarne un descendant de ce brave type, vivant au sein d’une communauté retournée à un fonctionnement tribal. Après une initiation assez bof – probablement le pire passage du jeu – et un petit échange avec la doyenne, nous voici en quête du JEK, le Jardin d’Eden en Kit, censé permettre à la terre de redevenir exploitable pour sauver la tribu. Armé d’un couteau, d’une lance et de poudre de guérison qui soigne mais fait perdre en perception (chacun y verra ce qu’il veut) nous voila parti à la découverte de cette « évolution » du monde post-apo.
Ce qui est le véritable tour de force de ce Fallout 2, et on aura l’occasion d’en reparler, c’est la qualité globale de l’écriture et la profondeur que Black Isle, le studio fondé pour l’occasion par Interplay, a réussi à donner en aussi peu de temps. Il s’est écoulé à peine plus d’un an entre la sortie du premier opus et sa suite, ce qui n’a pas empêché l’équipe de fournir un travail intelligent et mature – mais ce qui les a forcés à ne pas faire évoluer la partie graphique, qui n’est clairement pas le point fort du titre. Si le départ du jeu laisse franchement à désirer, tout s’améliore sur la suite. Dès que l’on quitte son village, les choses s’enchaînent naturellement et la trame historique se constitue, des clans et des relations entre villes ou espèces émergent progressivement et la complexité de ce nouveau monde apparaît.
Vous n’avez pas le monopole du bug
Il y a des choses qui fâchent mais avec lesquelles on apprend à vivre facilement surtout au vu de la période de sortie du jeu, où tout le monde – loin de là- n’avait pas Internet. Déjà, par manque de temps principalement, le moteur graphique et les textures de base sont exactement les mêmes que pour le premier opus. Le jeu n’est pas moche mais n’emballe pas particulièrement. On s’y fait vite puisque l’essentiel n’est pas là. Ayant été terminé très (trop) rapidement, Fallout 2 foisonne de petits bugs, dont le plus gênant et le plus mémorable reste le coffre de la voiture qui se vide. Après avoir pris le temps de réunir les pièces et les caps pour réparer la voiture chez Smitty, le joueur qui voulait profiter de son coffre pour stocker ses items les plus lourds les voyait tout simplement disparaître lors de l’accès suivant. Une fois qu’on le sait, on s’y fait mais un réflexe se crée alors, que je n’ai pas perdu depuis : sauvegarder toutes les 3 minutes.
Comme je le disais plus haut, la grande qualité de Fallout 2 réside dans son écriture, aussi bien la toile de fond et son évolution depuis le premier du nom que les quêtes et les factions. Associée à une mécanique de jeu toujours efficace, et qui a donc peu évoluée également, la progression est motivante mais surtout récompensée. Réussir les quêtes annexes et parler à tout le monde densifie l’univers et nous y implique encore davantage, voire nous responsabilise face à lui. Le nouveau système de réputation par ville définira aussi le niveau et le type d’interaction avec les habitants, tout comme le fait d’avoir une intelligence minimale (1 sur 10) donne des lignes de dialogues particulièrement drôles. Avant que ça ne devienne un argument de vente pour des RPG plus récents, les actions réalisées par le joueur ont un impact sur sa progression. Rater une quête peut vous en bloquer d’autres mais parler mal à quelqu’un d’influent peu aussi porter préjudice, comme l’huître xénophobe Lynette à la Cité de l’Abri, qui nous mettra dehors sans possibilité de revenir dans la cité.
La maturité du ton et la liberté d’action donnent un certain sentiment de puissance, non grâce à un arsenal (même si ça viendra également en fin de partie avec l’armure assistée new-gen et les bons gros flingues comme le fusil Gauss ou le minigun) mais plutôt par le champ disponible. En début de partie, notre descendant de l’Élu croise des esclavagistes chez qui il doit délivrer un marchand nécessaire à sa quête. Toutes les options sont possibles : payer pour le libérer, rejoindre les esclavagistes et se faire tatouer le visage pour être reconnu (vous coupant ainsi de certaines quêtes et relations, comme Sulik qui refusera alors de vous suivre) ou exterminer la troupe. Pour ceux qui, comme moi, manquent de puissance de feu en début de jeu, rien n’empêche de payer pour le délivrer puis de revenir plus tard les sulfater et libérer les esclaves restants.
Homme à tout défaire
Dans d’autre styles, il sera possible de devenir boxeur professionnel, pilleur de tombes, acteur porno, proxénète, etc. Quel que soit le choix du joueur, le jeu ne juge pas le chemin emprunté, à chacun sa progression avec ses fardeaux. Moins triviales sont les relations entre ethnies/espèces, qui font pour moi tout le sel du jeu. La fasciste Cité de l’Abri a des goules pour voisin, et aimerait bien profiter de son réacteur atomique qui fuit pour les exterminer. A l’instar de la ville de Megaton bâtie autour d’une ogive non explosée dans Fallout 3, réparer la fuite ou exploser la centrale sont deux options possibles avec leurs conséquences positives et négatives. Etant traité partout comme un bouseux, un étranger limité et donc dispensable, personne n’hésite à nous refiler les basses besognes. De ce fait, le joueur devient un pivot central dans les relations entre les humains, les goules et le super-mutants, que l’on peut amener doucement sur le chemin de la tolérance (à minima pour leurs versions douées d’intellect) ou plutôt orienter sur une guerre ouverte.
Tout ceci s’intègre très naturellement dans la progression et est traité avec assez de souplesse pour que ça reste lisible. Ces éléments de contexte structurés et sérieux sont complétés très régulièrement par des phases à l’humour ravageur qui a aussi fait la réputation de ces 2 premiers Fallout. Le joueur a de la répartie (sauf quand il a 1 en intelligence, forcément, mais même là ses dialogues sont drôles), les PNJ ont le chic pour sortir la petite phrase qui va bien, et les clins d’œil sont encore plus nombreux (caisses remplies de puce d’eau, que l’on cherchait dans le premier, le Pont de la Mort des Monthy Python, il y a des dizaines de références à dénicher). Fallout 2 s’octroie le luxe de n’être pas manichéen pour un sou : la RNC semble plus ouverte et bienveillante mais galère à gérer sa structure, alors que la Cité de l’Abri est très refermée et xénophobe mais dispose de tout le confort nécessaire pour ses citoyens. Plutôt d’accord avec Tandi et la RNC, ou plus proche de la cité de l’abri et son confort bâti sur l’esclavagisme ?
Au final, si la quête principale est somme toute classique, on s’attarde beaucoup en route pour découvrir et intervenir sur le monde. Retrouver le Jardin d’Eden en Kit puis détruire l’Enclave et son Président ne sont pas chronométrées comme l’était la recherche de la puce d’eau pour l’Abri 13 dans le premier. On gagne donc encore un peu de liberté et les plus curieux, qui auront poussé leur stat chance à 10, parcourront plusieurs fois la carte pour trouver tous les événements uniques, bien aidés par la voiture et son coffre buggé. Ces pérégrinations permettent au passage de monter son niveau et de trouver un peu de matos qui sera bien utile sur la fin de partie. J’en connais plus d’un qui ont passé des heures à révéler chaque carré de la carte en espérant tomber sur une rencontre spéciale.
Une goule d’enfer
Pour enrober tout ça, le moteur graphique étant resté le même, Black Isle a beaucoup réutilisé ce qui existait pour Fallout en y ajoutant de nouveaux personnages et bestioles, de nouvelles armes et armures mais surtout des lieux plus grandioses, plus mémorables. La première fois que l’on entre dans New Reno est marquante, c’est la première vraie grande ville que l’on parcourt. Le thème musical est aussi réutilisé, la bande son se voyant également augmentée de quelques morceaux, toujours avec cette teinte caractéristique entre industrielle et tribale à laquelle viennent s’ajouter quelques cuivres bienvenus.
Il en va de même pour le système RPG, le fameux SPECIAL, qui n’a pas vraiment bougé non plus. Des notes de 1 à 10 pour les caractéristiques principales (à l’époque on pouvait tricher via un éditeur hexadécimal pour se donner assez de points et tout mettre à 10) puis des compétences en % et des skills particuliers à choisir au passage de niveau. Idem pour le combat au tour par tour avec le système de visée pour cibler les parties du corps de l’ennemi et si possible l’estropier (retirer les yeux pour qu’il ai du mal à viser, les jambes pour l’immobiliser, etc.). Les mécaniques et le moteur sont exactement les mêmes que lors de notre première visite. Ceci dit, ce n’est pas un mal puisqu’il est particulièrement efficace, hormis la gestion de l’inventaire, et très bien conçu pour l’époque.
En conclusion, une fois le lore bien posé par Fallout, le second a moins besoin d’exister sur cette démonstration – comme à travers le mythique Rayon (The Glow), cratère radioactif qui marque l’entrée des ruines de West Tek, créateur de l’armure assistée – et peut se concentrer sur ce qui constitue dorénavant le monde. La découverte a laissé plus de place à l’intégration dans ce nouveau monde à l’équilibre précaire. L’absence totale d’autorité a permis à certains groupes de sortir du lot et d’appuyer leurs croyances par la force, seule loi possible. La venue de cet Etranger, descendant de l’Abri, va permettre à certains groupes de briller davantage et en faire disparaître d’autres, selon les choix du joueur. C’est pour moi ce qui fait l’intérêt de Fallout 2, qui sous un air de redite peu risquée propose en fait une vraie évolution de l’expérience drapée dans un système déjà solide. La présence de Chris Avellone à l’écriture n’y est sûrement pas étrangère.
Pour parcourir ces premières itérations des Terres Dévastées, rien de plus simple : les plateformes classiques Steam ou GOG pour les réticents aux DRM les proposent, tout comme les suites parues chez Bethesda. Tout ça est très souvent en solde, il est facile de se faire la série pour trois fois rien. Attention toutefois, des soucis de stabilité m’ont empêché d’aller au bout sur la version Steam, apparemment capricieuse sur Windows 10.
«Il est marrant cet arbre, on dirait un scorpion géant !» Dernières paroles attribuées à un habitant d’un abri découvrant le monde extérieur