Bien connu pour son histoire conspirationniste dystopique East of West et son très long (et bon) run sur Avengers terminé par Secret Wars (et passé par Infinity), Jonathan Hickman change d’univers pour se positionner dans « notre » monde. Sa nouvelle production Black Monday Murders étend donc ses tentacules sur le monde sombre et manipulateur de la Finance avec un grand F. Les protagonistes principaux ne sont pas des héros mais un groupe que l’on pourrait qualifier d’occulte, n’étant leur place au conseil d’administration d’une des plus grandes banques du monde, fruit du rapprochement d’une banque occidentale et d’une banque russe au début du siècle. De ceux-ci émane une noirceur liée à leur apparent pacte avec Mammon , superbement présentée par Tomm Cocker.
Leur cynisme et leur sens de l’anticipation quasi surnaturel est mis à mal avec le meurtre de l’un d’entre eux et le retour aux affaires de sa sœur. Ce décès mis en scène déclenche un jeu d’échec et de pouvoir entre les 3 membres historiques et Grigoria Rothschild. Un détective teinté de vaudou prend l’enquête à son compte et va alors mettre son doigt dans un engrenage mêlant affaires de famille, délits d’initiés et l’immoralité de ceux dont l’immunité est apparemment inviolable. Le pragmatisme et l’irrespect envers toutes les personnes absentes de ce cercle d’initiés – dont le pouvoir dépasse même celui des institutions qui leur ont permis d’atteindre ces positions – sont présentés avec suffisamment de réalisme pour être crédibles. Ici pas question de trop forcer le trait mais plutôt de présenter, d’une façon un peu manichéenne toutefois, la face sombre d’un monde à part n’obéissant qu’à ses propres règles sans jamais payer pour leurs erreurs.
Black Monday Murders nous emmène sur un terrain rarement abordé et assez sombrement exposé. Le comportement de ces dirigeants hors circuit mais d’une influence folle n’est pas présenté comme une anomalie mais comme un état de fait. Le miroir est assez douloureux avec notre actualité récente et appuie, si cela était nécessaire, sur ces oligarques opérant en marge du système et l’influençant dans leurs seuls intérêts – bien sûr au détriment de tous les autres ou presque – et dont la présence n’est que peu mise en lumière dans notre société. C’est froid, détaché et cynique mais froidement réaliste. Le scénario se dévoile petit à petit, les motivations de chacun émergent doucement, comme Hickman a pris l’habitude de le faire. Le complot n’est pas tant destiné au petit peuple que nous sommes mais à des jeux de pouvoirs au sein même de cette caste, bien que la populace en subisse les dommages collatéraux.
Le dessin de Tomm Coker est parfait pour illustrer cette vision. Son trait réaliste, taillé à la serpe, et l’encrage très contrasté apportent l’habillage idéal. Je découvre cet artiste pour l’occasion et je suis déjà très fan. Son style est parfaitement adapté à ce genre d’histoire indépendante et ne dénoterait pas sur certains runs de super-héros un peu dark comme le Punisher, Moon Knight ou encore Batman. L’une de ses forces est de conserver une certaine chaleur dans cette ambiance feutrée des arrière-salles dans lesquelles se décide le destin de la société. Les aspects plus fantastiques ou ésotériques sont parfaitement à leur place dans ce cadre réaliste, ce qui n’est par définition pas gagné d’avance. La combinaison de ce graphisme recherché et des dialogues – qui pour une fois sont assez différemment écrits pour identifier rapidement les personnages par le discours qu’ils tiennent – donnent une superbe texture à l’ensemble.
Pour faire court, c’est un premier tome plus qu’encourageant, qui met un peu de de temps à se mettre en place et qui mérite vraiment le déplacement. Proposé à 10€ chez Urban Comics en offre découverte, c’est pour moi une des découvertes à ne pas rater cet été, d’autant qu’on ne croule pas sous les sorties.
Pour accompagner cette saine lecture et rester sur une bonne ambiance, quelques suggestions d’autres oeuvres à voir, à lire ou à jouer.
À lire:
La BD cultissime Blacksad
Le complotiste Révélations
L’excellent 100 Bullets d’Azzarello et Risso dans une veine un peu différente
À voir:
Inside Job documentaire sur la crise des subprimes
The Big Short sur le même thème
L’enquête car les multinationales et la finance c’est le mal (et que Clive Owen)
À jouer:
Watchdogs 2 pour sa conspiration 3.0
Deus Ex Human Revolution pour sa conspiration 4.0
L.A. Noire car c’est peut-être ce qui se fait de mieux en polar