Alléluia, il est là! Tant attendu depuis son officialisation (surprise) lors du dernier E3, Bethesda a géré de main de maître la campagne de communication autour de son dernier bébé post-apocalyptique pour mieux nous faire succomber aux charmes de Fallout 4 et se ruer dessus dès sa sortie. Las, tout ne fut pas parfait, le doute s’immisçant dans le coeur des puristes au vu des quelques screens disponibles : les dialogues seront-ils intéressants bien que les choix soient réduits à quelques mots ? Que cache l’insistance sur l’armure assistée ? L’aspect FPS n’est-il pas trop prégnant ? Autant de questions qui m’ont fait démarrer avec une appréhension teintée d’excitation ce nouveau volet de l’histoire des Abris. Affublé(e) de notre plus beau pyjama bleu (et d’un PipBoy en plastique), prenons le héros/héroïne en main et décortiquons tout ça.
Tu vois la lumière du jour pour la première fois
Teasé par de multiples vidéos, le coeur de l’histoire est déjà connu. Habitant une banlieue cossue de Boston, Sanctuary, le héros se précipite avec sa famille vers l’Abri 111 pour s’abriter de la pluie nucléaire qui s’abat sur le pays. Par la magie de la cryogénie, il en ressortira 200 ans plus tard, dans un monde dévasté mais qui s’est déjà bien reconstruit. Il y a des communautés, de l’herbe, des plantations de fruits étranges et des êtres synthétiques, à tel point qu’on est plutôt sur du post-post-apo, loin des déserts arides et des cratères nucléaires des premiers épisodes. D’ailleurs, en tant que fanboy assumé des « vieux » Fallout, je ne peux que juger Fallout 4 en le comparant aux deux épisodes fondateurs qui ont défini l’âme de la série, ce qui me rend tout sauf impartial.
Débarrassons-nous d’un premier point: les graphismes. Le jeu est loin d’être vilain même si quelques textures sont un peu baveuses (le classique Bethesda), pas au niveau d’un Witcher 3 mais pas dégueulasse. Les animations, la modélisation, tout est plutôt bien réalisé. Pas vraiment de baisse de framerate non plus (alors que les premiers échos sur la version XBox One en faisaient état), la balade est fluide et plaisante pour les yeux. Les jeux Bethesda n’ont jamais été des fers de lance en termes de qualité graphique et d’optimisation (on va y revenir), préférant axer leur boulot sur le contenu. Nul doute que les moddeurs nous feront des beaux packs de textures (à minima sur PC) pour faire briller tout ça, pas sûr de les voir arriver un jour sur consoles malgré les portages promis par l’éditeur.
Mouche bouffie et radBambi
Ceci étant dit, on commence à se promener dans ces terres plus vraiment dévastées, on rencontre des Miliciens qui seront le premier fil rouge pour la découverte des environs à travers des quêtes consistant en l’élimination de pillards pour aider des colonies éparpillées sur la carte. Première surprise, on obtient dès le début du jeu (après 1 heure ou 2 selon les promenades) une armure assistée et un minigun, qui sont pourtant des items que l’on vise en fin de partie pour poutrer du super mutant. Fallout 4 prend un virage en proposant l’armure rapidement et s’oriente vers le crafting et l’amélioration pour la faire devenir infranchissable. On ne la portera toutefois pas tout le temps, limitée par sa consommation d’énergie (et des noyaux à trouver dans le Commonwealth pour continuer à la faire fonctionner). Elle offre toutefois une protection tellement importante qu’on préfère se balader sans et garder un peu de piment dans les combats (hors Deathclaws et boss) si on n’active pas le mode Survie.
Toutes les créatures et personnes croisées ne seront pas agressives, mais presque. Les pillards se reproduisent plus vite que des radlapins sous viagra et pullulent sur la carte, à tel point que la crédibilité de la survie des colonies de 2 ou 3 paysans fait tiquer (ok ils doivent manger et c’est plus simple de piller, mais comme ils tirent à vue…) Les développeurs ont d’ailleurs pensé la carte pour que son exploration à pied soit le moins pénible possible, avec pléthore de maisons, cachettes et usines à visiter pour se remplir les poches d’objets plus ou moins utiles. Le nouveau mode de crafting, qui permet de modifier ses armes et armures, fabriquer ses stimpacks et ses drogues, ou construire une ville entière, est un ajout vraiment intéressant : finie la colle miracle et le scotch qu’on prend par hasard avec l’espoir de s’en débarrasser pour 10 caps chez le prochain marchand, ici tout ce qu’on ramasse peut être recyclé en matière première. Les pièces d’équipements peuvent donc être adaptées aux besoins, entre résistance à un certain type de dégâts ou amélioration du poids transportable.
Créer et modifier son équipement n’est pas une obligation mais offre une profondeur nouvelle à la série. Cela ajoute autant d’allers-retours vers les ateliers pour recycler les armes bas de gamme arrachées aux cadavres plus ou moins découpés de nos jadis vaillants adversaires pour en retirer le matériel qui permettra d’ajouter ce viseur ou cette poignée tant attendus sur notre fusil préféré. La création d’un sanctuaire à Sanctuary (héhé) parait anodin au premier abord mais ajoute un jeu dans le jeu, un Sim-City like pour lequel on passe quelques heures à poser des planches comme clôtures et des tourelles de défense. Après tout, avoir un beau chez-soi est important (pensez donc au porte-revue et au présentoir pour vos figurines SPECIAL dans votre chambre, le top de la classe).
S.P.E.C.I.A.L. Cas
Après 10 heures de jeu et la résolution de quelques quêtes, on prend enfin la décision (ardue) de s’occuper de la quête principale: direction Diamond City. Puis on se perd en route entre les antres de pillards à vider et les bâtiments à visiter. La liberté d’exploration est un faire-valoir, mais la progression est particulièrement erratique et on a en conséquence beaucoup de mal à s’intéresser à l’histoire. L’écriture et le « cadrage » de cette progression laissent fortement à désirer. Là où la traversée des Sables Ombragés dans Fallout premier du nom était prévue, anticipée, obligatoire même, et apportait son lot d’éléments importants pour le scénario et pour la série (coucou Tandi), les lieux que l’on visite ici se présentent sans grande logique. On a affaire à du remplissage plus ou moins intéressant (quelques missions et beaucoup de trucs à canarder) qui n’apporte rien ou très peu à la trame scénaristique. En résulte une impression de sandbox ultime, pauvrement rythmé par une quête principale en guise de prétexte à l’exploration. Cela ne rend pas le jeu mauvais, bien au contraire, mais donne plus l’impression d’être un « Skyrim 40k » qu’une « vraie » suite à la série originelle, avec une volonté de construction scénaristique.
La vue à la première personne et les combats en temps réels, inclus depuis la reprise de la licence par Bethesda sur Fallout 3, n’aident pas les joueurs élevés au biberon Interplay (paix à son âme) à s’y reconnaître. Fallout 4 représente l’apogée du FPS-RPG, mélange de genres maladroit mais qui ne manque pas d’identité. Citer FPS en premier n’est pas anodin, puisque l’aspect RPG a été simplifié et réduit à sa portion congrue dans la manœuvre. Bien plus accessibles, les mécaniques du jeu de rôle ont été refondues et intégrées dans un profil plus orienté action. En ressort un RPG facile, sans classes ni karma ou réputation qui affecte les réactions des PNJ, le choix des aptitudes servant uniquement à débloquer des skills optionnelles (déverrouiller des ordis plus durs, des coffres plus complexes, crafter des armes et armures plus avancés, etc) mais pas une « vraie » évolution du perso et de ses compétences. Le peu de conséquence des choix lors des montées de niveau permet de se concentrer sur l’exploration et l’univers, ce qui n’est pas forcément un mal et garde impliqué le joueur plus « novice ».
Autre point largement retravaillé : les dialogues. Fallout 3 et New Vegas conservaient des options de dialogue assez denses, pas forcément drôles ou bien travaillées mais qui avaient le mérite de bien orienter le joueur. Ils sont dorénavant réduits à 4 choix (un par bouton « principal » de la manette) et les phrases sont remplacées par quelques mots. Ce qui représente en quelque sorte un crime de lèse-majesté (réduire autant les dialogues d’un Fallout c’est renier l’âme de la série). C’est un signe fort de la nouvelle direction prise: les dialogues sont un complément et ne doivent pas être une perte de temps. Si les choix sont simples (simplistes?) Cela ne veut pas dire que les répliques se limitent à ces quelques mots. Une fois la réponse choisie, le héros sort une ou plusieurs phrases entièrement doublées. C’est moins fun mais plus direct, plus réactif, plus efficace et plus proche de ce côté action qui semble visé par les développeurs.
Valar Mort-Goules
Bien qu’il me soit difficile de ne pas comparer des jeux pourtant séparés de plus de 15 ans, force est d’admettre que Bethesda a bien réussi son coup : vendre un jeu à la Skyrim dans un univers futuriste, avec ce que ça comprend d’exploration, de gameplay et de mods. Les combats en vue « intérieure » (ou à la troisième personne mais bien moins pratique) sont dynamiques et l’utilisation du SVAV, le système d’aide à la visée hérité du tour par tour du premier, diversifie habilement les solutions d’élimination comme les coups critiques qui se débloquent après quelques utilisations du procédé. On y perd forcément en tactique puisqu’on ne peut pas s’abriter ou s’organiser vraiment, mais au gain d’un meilleur rythme et d’une implication peut être plus rapide. L’éditeur a fait des choix pour que le plus grand nombre s’y retrouve, plutôt avec succès, au détriment d’une fan-base qui, avouons-le à demi-mot, n’a de toute façon rien d’autre à se mettre sous la dent, hormis Wasteland 2 , pour se rapprocher du plaisir procuré par les épisodes originaux.
Comme tout jeu estampillé Bethesda, Fallout 4 est buggé. Certes. C’est parfois frustrant (recharger sa sauvegarde et retenter, en espérant que ce soit ponctuel) et parfois drôle (le gif de goules qui font du breakdance se multiplient sur les Internet), mais s’il y a bien un point sur lequel les joueurs n’avaient pas de doute, c’est la présence de ces bugs. Ce n’est pas nouveau dans les Fallout (le coffre de la voiture qui perd son contenu dans le 2… J’en pleure encore) et des patchs vont venir corriger les plus bloquants, donc pas d’alarmisme mais toujours cette rengaine : prenez le temps qu’il faut, même si c’est plusieurs mois, pour nous sortir un jeu bien optimisé et sans bugs. Vu les coûts de développement (et Noël qui approche), c’était apparemment trop demander.
Printemps nucléaire
Pour ceux qui ont découvert la série avec la première itération signée Bethesda, Fallout 3, ce nouvel opus est un super jeu. Dynamique, faisant la part belle à l’exploration et au crafting, une sensation de liberté et une identité forte. Pour les vieux de la vieille c’est un bon jeu également, un FPS-RPG abouti, mais ce n’est pas un Fallout. Il ne faut pas prendre ça pour du « c’était-mieux-avant »-isme, c’est un simple constat sur l’évolution d’une série, qui synthétise l’évolution globale du média. Ce qui faisait le charme des anciens à disparu: dialogues pauvres avec des choix réduits à la portion congrue, combats en temps réel sans tactique, armure assistée et le minigun disponibles au bout de 2h de jeu, humour noir presque totalement absent, références inexistantes, quêtes annexes vraiment annexes (pas d’ajout à l’histoire ou au mythe, que du leveling)… Et cela a été remplacé avantageusement, si on se réfère aux critères actuels, par une liberté totale d’exploration et de création.
Bethesda a atteint ce qu’il visait : Faire de Fallout non plus un jeu de niche réservé aux fans initiés des RPG à l’ancienne, mais un portage vers le grand public qui peut facilement le prendre en main et en faire ce qu’il veut. Mission principale, extermination de tout ce qui est indiqué en rouge sur le radar, crafting d’une communauté extraordinaire et personnalisation poussée de l’équipement (alors que les moddeurs ne se sont pas encore vraiment lachés), tout est possible. Ce changement radical, déjà amorcé sur Fallout 3, n’est pas un mal, au contraire, mais reste une profonde déception pour ceux qui espéraient enfin un retour aux sources. Ce n’est pas le jeu de l’année mais c’est un bon jeu (une fois le sentiment de trahison digéré). Et pour les nostalgiques, il nous reste GOG pour pleurer et refaire les deux premiers jeux (ou pire, attendre la fin de ce projet de fans qui refont le premier avec le moteur de New Vegas).
Testé sur XBox One, version commerciale collector (avec son bel autocollant « Made in China »)