Début mars, les abonnés Netflix voyaient débarquer sur la plate-forme la troisième saison de la série Castlevania adaptée de la célèbre série de Konami. Nous allons dans ces quelques lignes faire un retour sur cette adaptation un peu spéciale mais aussi sur une franchise qui l’est tout autant.
Lorsque fin 2016, Netflix annonce lancer un projet d’adaptation de la série culte de Konami, Castlevania en partenariat avec Adi Shankar, les fans de la franchise avaient de bonnes raisons de s’inquiéter. Il est vrai que les adaptations de jeu vidéo sous un autre format sont souvent sources de larmes de sel et de sang. Pour autant, les fans d’animation ne pouvaient que se frotter les mains car Netflix ne s’est pas lancé dans l’aventure seul et a s’est entouré d’alliés solides : Adi Shankar pour la production et Federator Studios pour l’animation. Et quand on s’attarde un peu sur les travaux réalisés par les deux entités, force est de constater qu’ils imposent le respect : Dredd (2012) pour l’un, Samouraï Jack (2001 – 2004) et Adventure Time (2010 – 2018) pour l’autre : excusez du peu !
Adapter un jeu vidéo n’est pas chose aisée, adapter une franchise culte n’est pas chose aisée, adapter une franchise culte du jeu vidéo, c’est voué à l’échec ou presque (je n’ai pas vu Sonic et je me persiste à penser que le Silent Hill de Christophe Gans est un bon film). Mais en faisant les bons choix, tout est possible. Et Netflix en a fait de nombreux lors du développement du projet. Le premier choix fort des producteurs est de confier la scénarisation du projet à Warren Ellis, script reconnu de comics, idolâtré aujourd’hui pour The Authority. Le second choix important est celui d’offrir à Hitoshi Akamatsu, directeur de la création des premiers Castlevania, la scénarisation d’un épisode et surtout un rôle de superviseur sur l’ensemble du projet. Rares sont les projets similaires à avoir fait un si bon choix. Imaginez si des producteurs avaient laissé Kazuhiro Aoyama superviser une adaptation de Resident Evil…
Le projet sur les rails, une équipe créative mise en place, reste à plancher sur le but même du projet : adapter un mythe. Castlevania est une vaste saga, culte, trentenaire et ayant réussi à se renouveler à travers le temps et les différentes générations de consoles. Débutée en 1986, la saga étend son récit de 1094 à 2036 et place son action principalement en Transylvanie offrant un choix de possibilités assez large pour les équipes de production.
Mais, et nous l’avons vu dans le large cimetière des adaptations ratées de jeux vidéo, disposer d’un matériau de base solide ne suffit pas. Mais que faire ? Reprendre purement et simplement les trames de jeux dont les qualités n’ont jamais été scénaristiques et prendre le risque de reproduire l’échec de Super Mario Bros Le Film ? Développer une histoire originale sans lien avec les jeux comme l’avait (mal) fait Paul W. S. Anderson sur Resident Evil ? Ou alors suivre les traces du travail de Roger Avary sur Silent Hill en déconstruisant le matériau adapté pour le rendre conforme au média sur lequel il est adapté ? Encore une fois, Netflix fait le bon choix et choisi d’adapter à sa façon l’un des épisodes les plus importants de Castlevania : Dracula’s Curse.
Sorti en 1989 sur la Nintendo Entertainment System, Dracula’s Curse présente le combat de Trevor Belmont contre Dracula dans la Valachie du quinzième siècle. Si le jeu relate encore la lutte d’un chasseur de vampires dans le château roumain du comte, le jeu se démarque par le grand soin avec lequel sont traités ses personnages. En effet, Dracula est ici présent sous un autre spectre que celui du vilain suceur de sang. Dans ce titre, Vlad Tepes veut éradiquer l’humanité suite à la mort de sa femme, Lisa, condamnée par l’inquisition offrant aussi au personnage une profondeur bienvenue. Cet antagoniste devient beaucoup plus proche du personnage imaginé par Bram Stocker que du méchant lambda que nous présentaient les jeux de l’époque. Un des autres points forts de ce troisième volet est la présence de personnages secondaires qui deviendront tous récurrents dans les futurs épisodes. Sont introduits Sypha Belnadès, une sorcière maîtrisant les éléments et Alucard, fils de Vlad et Lisa Tepes et futur protagoniste de l’un des plus grands jeux de l’histoire du jeu vidéo : Castlevania : Symphony of the Night. Si le choix d’adapter ce jeu est intéressant, il est aussi facilité par Warren Ellis et son travail sur le projet d’adaptation, déjà animée, de Dracula’s Curse pour le studio Projet 51, remis en cause par le rachat de la licence par Netflix. Projet 51 se remettra vite de cet échec en intégrant le pool créatif mis en place le géant du streaming pour adapter Castlevania sur leur plate-forme. La boucle est bouclée, le projet est lancé, voyons son résultat.
Sortie en 2017 et poursuivie l’année suivante, la série montre lors de ses deux premières saisons d’incroyables qualités mais n’est pas exempte de défauts. Warren Ellis fait des choix, notamment celui d’offrir une grande place à Dracula et à ses motivations dans le récit. En effet, Lisa nous est introduite dès la première scène du show et leur histoire et ses nombreuses conséquences sont abordés à chaque épisode. Les états d’âme du célèbre comte sont souvent présentés et sont d’ailleurs au centre de l’intrigue liée à l’assemblée vampirique réuni par le seigneur. L’auteur adapte Dracula’s Curse en développant tous ces moments qu’un jeu n’aborde pas notamment dans les différentes interactions entre les nombreux personnages. Il en profite également pour y aborder certains points comme la place de la religion dans la société mais aussi ses dérives. Et c’est d’ailleurs l’une des grandes surprises de la première saison, le clergé est ici présenté comme un véritable antagoniste, responsable du courroux de Dracula sans en assumer les conséquences. Les principaux protagonistes, Trevor, Sypha et Alucard, font rapidement preuve d’une vraie dynamique de groupe malgré leurs différences et il est vraiment jouissif de voir l’héritier des Belmont se chamailler avec celui de Dracula. De plus, il est très intéressant de noter l’excellent travail effectué sur les personnages féminins, plein de forces et loin d’être stéréotypés comme le genre le propose trop souvent. Malheureusement, à l’image de nombreuses productions Netflix, l’action traîne en longueur et pire, nous fera perdre, par moments, l’intérêt, pour la série et ses personnages. On pense alors à l’introduction des personnages de Hector et Isaac, protagoniste et antagoniste de l’épisode Curse of Darkness sur PS2, qui ajoutera des intrigues certes intéressantes mais bien trop étirées. En effet, à partir de la saison 2 et surtout lors de la saison 3, ces personnages verront leur temps à l’écran augmenter au point d’atteindre celui du trio principal. Dans les faits, ce n’est pas si grave, mais force est de constater que les deux forgerons démoniaques ont un capital sympathie et intérêt bien moindre que les membres de la troupe de Belmont.
Sur le plan technique, la série prouve son statut de superproduction. Le character design est proche du sublime et mythique travail réalisé sur les jeux par Ayami Kojima entre 1997 et 2010. De plus, les animateurs ont été pioché dans les bestiaires de Lovecraft ou encore Berserk quelques bonnes idées de monstres. La qualité de l’animation, fluide, agréable et proposant de belles idées, notamment sur les attributs surhumains des vampires, n’a d’égale que celle de la musique. Composé par Trevor Morris (Vikings, Les Piliers de la Terre, Dragon Age Inquisition), le score du show se révèle rythmé, varié et à l’instar des jeux, propose quelques magnifiques moments de bravoure. Qui dit série animée, dit doublage et là aussi, les moyens ont été mis afin de proposer le meilleur contenu possible. En effet, c’est Richard Armitage (le Thorin du Hobbit de Peter Jackson) qui prête sa voix à Trévor Belmont. L’acteur anglais n’est pas le seul à participer au programme, de grands noms des petits et grands écrans donnent de la voix : Emily Swallow (Amara dans Supernatural, The Mandalorian), Tony Amendola (Stargate SG-1, Once Upon A Time), Theo James (Divergente, Underworld), Jaime Murray (Dexter, Spartacus, Gotham), Peter Stormare (Prison Break, Armageddon, Fargo, The Big Lebowski) Bill Nighy (Love Actually, The Boat That Rocked, Shawn of the Dead, Underworld, Pirates des Caraïbes), Jason Isaacs (The Patriot, Harry Potter). Le casting est juste incroyable et chacun donne un véritable cachet aux personnages qu’il interprète. Netflix a mis des moyens dans sa production et cela se ressent.
Reprenant à la suite d’une fin de saison 2 ayant autant bouclé d’arcs scénaristiques qu’elle n’en a ouvert, la saison 3 confirme le projet d’adaptation de Curse of Darkness. En effet, avec le final de la saison 2, se clôt aussi l’adaptation de Dracula’s Curse. Ainsi, la série décrit les événements ayant lieu durant les trois ans qui séparent les deux jeux. C’est autant une nouveauté qu’une nouvelle prise de risque et surtout, c’est un nouveau pari réussi pour les équipes créatives du show. Si les intrigues autour de Hector et Isaac ne provoquaient que trop peu d’intérêt jusqu’alors, la saison 3 les propulse en avant et donne un regain d’intérêt pour les personnages en leur offrant un fond rendant les personnages moins stéréotypés. Malheureusement, ce choix se fait au détriment du sort réservé aux personnages principaux. Les intrigues de Trévor et Sypha sont au mieux mollassonnes pour les deux-tiers de la saison et Alucard est relégué au statut de personnage secondaire. Et c’est bien dommage tant le personnage peut être source de fabuleuses histoires. La série introduit de nombreux nouveaux personnages dont Saint-Germain, que les fans de Curse Of Darkness connaissent bien mais qui sera ici introduit dans l’intrigue de Trévor et Sypha. Surtout, avec l’arc scénaristique consacré à Hector, est présenté la cour de Carmilla, vampire rebelle siégeant au conseil de Dracula, en Styrie. Une nouvelle galerie de personnages dont encore une fois les interactions des uns avec les autres sont mis en avant. Mention spéciale au personnage de Lenore, l’un des plus intéressants de la série jusqu’à présent. Par ailleurs, avec cette saison, la série propose plus de plans gores et surtout un florilège de scènes de sexe à l’intérêt parfois douteux. Il faut dire que Netflix a fait le pari de rallonger le nombre d’épisodes disponibles, dix, contre six puis huit pour les deux saisons précédentes. Cette dose d’épisodes supplémentaires est alors la source des principaux maux de cette saison. En effet, cela rallonge les intrigues qui se perdent en effet gores ou sexy mais surtout, cela retire la tension et la notion d’urgence qui faisait le sel des deux premières fournées du show. Avec cette nouvelle saison, Warren Ellis propose encore une analyse des gens de pouvoir et de ce qu’ils font de ce dernier. Ainsi, avec l’intrigue de Trévor et Sypha, nous est introduit le juge (doublé par l’immense Jason Isaacs) responsable du village de Lindenfeld, personnage dont la droiture n’est peut-être pas aussi infaillible que l’on croit. Dans le même arc, le scénariste poursuit son travail critique sur la religion et ce qu’en fait les hommes au travers de la secte du village, composée d’anciens prêtres et de fidèles croyants. Enfin, avec l’arc d’Isaac, un aspect philosophique assez innovant nous est proposé au cours du voyage du forgeron et de ses rencontres proposant ainsi une véritable dichotomie du bien et du mal.
Du point de vue technique, l’animation a encore passé un pallier et propose des combats de plus en plus dynamiques et dantesques surtout en fin de saison. Le travail réalisé sur la lumière est l’un des plus importants de l’animation de ces dix dernières années. Par contre, l’insertion de plan 3D fait toujours mal aux yeux et au cœur mais cela est devenu, malheureusement, monnaie courante dans l’animation moderne. Trevor Morris propose un travail toujours aussi varié, s’appuyant sur les thèmes de la saga vidéoludique tout en proposant des compositions proches de ces précédents travaux, notamment ceux réalisés pour Vikings. Les doubleurs sont au summum, surtout les nouveaux venus, Jason Isaacs, Bill Nighy et Lance Reddick.
Pour conclure et après trois saisons, force est de constater que Netflix a pleinement réussi son adaptation de Castlevania. Adapter un tel mythe était un pari quasi-suicidaire mais grâce à une équipe créative aussi compétente qu’impliquée, le géant du streaming propose enfin une œuvre qui fera date. Adapter un jeu vidéo n’est pas impossible, il faut juste savoir adapter ce qui en fait la force et savoir aborder le changement de média avec intelligence. Si Castlevania n’est pas exempt de reproches, notamment sur son rythme, il est vraiment plaisant de suivre ses aventures qu’elle nous propose et de suivre les personnages qui la composent. Que vous soyez fans ou non, des jeux, que vous soyons fan ou non d’animation, Castlevania trouvera toujours un moyen de vous plaire. Vivement la saison 4 !
NOTE : Suite aux récents événements, vous vous retrouvez certainement confinés chez vous. C’est triste, frustrant, cela change le quotidien mais cela vous permet aussi de lire, écouter, regarder ou jouer. Vous avez l’opportunité de briser cet enfermement en faisant voyager votre esprit à défaut du corps. C’est sûr, c’est moins sympa qu’un dîner au restaurant, qu’une séance de ciné, une sortie au parc ou une virée au bar mais c’est sain, sécurisé et ça fait du bien.
Profitez de ces durs moments pour vous transcender. Grâce à internet, la culture sous toutes ses formes et à portée de main, profitez-en ! De plus, vous n’aurez plus d’excuse pour ne pas regarder Castlevania surtout que la série vient d’être renouvelée.
Restez chez vous, prenez soin de vous, prenez des nouvelles de vos proches.
Très bon article j’ai pris plaisir à le lire. T’as bien résumé dans l’ensemble les 3 saisons et en effet c’est dommage pour Alucard de passer au rang d’un personnage secondaire dans la dernière saison…
L’arc d’Isaac est très intéressant on ne s’ennuie pas du tout. Les petits ajouts de scènes de sexe en plus par rapport aux premières saisons n’étaient selon moi pas nécéssaires m’enfin pourquoi pas.
Les animations de combats sont beaucoup plus jolies et travaillées, on se régale c’est assez fluide dans l’ensemble.
Sinon en bonne adaptation jeux vidéoludique y a The Witcher de Netflix aussi que t’as oublié de mentionner 🙂
Cordialement