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TFH – Que le spectacle commence : Les Parapluies de Cherbourg

La comédie musicale est un style théâtral qui mêle comédie, chant et danse. C’est un mélange entre le théâtre et la musique classique. Au début du vingtième siècle, aux États-Unis, que les compositions standards sont remplacées par du Jazz. Au fil des années, le genre de la comédie musicale a aussi bien envahi les théâtres que les salles de cinéma. StIV des Four Horsemen vous offre le premier épisode d’une série d’articles sur les Musicales ! Amour, chanson, trahison et poésie vous attendent dans ce premier chapitre consacré aux Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy.

 

 

 

ACTE 1 : JACQUES DEMY

Né en 1931, Jacques Demy grandit dans la commune de Pontchâteau. Il découvre très vite le monde du spectacle et du cinéma, grâce à ses parents qui en sont fans. À seulement 4 ans, il met en scène des spectacles de marionnettes dans son grenier et se passionne pour l’art. Plus tard, il conçoit ses premières animations en utilisant une technique, qui consiste à appliquer de la peinture sur de la pellicule. Grand amoureux de musique, il apprend à jouer du violon durant son enfance, au cœur de la Seconde Guerre mondiale. À la fin de ce sinistre événement, Jacques Demy devient cinéphile et fréquente le ciné-club de Nantes.

Entre 1944 et 1948, il s’achète sa première caméra, tournant quelques documentaires/films amateurs. Il travaille essentiellement sur l’animation de personnages miniatures. Certains de ses films n’existent que dans ses souvenirs, mais d’autres ont été reconstitués bien plus tard, en voici quelques-uns :

 

 

En parallèle des études de garagiste, imposées par son père. Demy, qui envisage de devenir cinéaste, fréquente les Beaux-arts de Nantes pendant son temps libre. Il y rencontre le futur décorateur Bernard Evein et la future costumière Jacqueline Moreau. Ils participeront à la suite de sa carrière, travaillant avec lui sur plusieurs films que nous traiterons dans cette série. Le réalisateur Christian-Jaque, de passage à Nantes, l’aide à convaincre son père d’accepter sa véritable vocation : le cinéma. C’est aidé par lui qu’en 1949, Demy part sur Paris, afin d’intégrer l’École Technique de Photographie et de Cinématographie (ETPC). Il y retrouve ses camarades des Beaux-arts de Nantes, puis réalise en 1951, son court-métrage de fin d’études : Les Horizons morts.

 

 

Au retour de son service militaire, il travaille pour Paul Grimault, réalisateur spécialisé dans l’animation. Il réalise avec lui plusieurs spots publicitaires. Il vit alors ses premiers échecs, écrivant des scénarios qui n’aboutissent jamais. Il se lance ensuite dans l’écriture d’un roman, qu’il ne publiera pas, mais qui deviendra l’ébauche d’Une chambre en ville, qu’il réalisera en 1982. Entre 1953 et 1956, Demy devient l’assistant du documentaliste George Rouquier, et tourne plusieurs courts-métrages à la fin des années 1950 :

– Le Bel indifférent (1957)

– Le musée Grévin (1958)

– La Mère et l’enfant (1959)

– Ars. (1959)

Durant la réalisation du second court-métrage, Jacques Demy se lance dans l’écriture du scénario de son premier long, initialement nommé Un billet pour Johannesburg. Demy souhaite en faire une comédie musicale, tournée en Cinémascope et en couleurs. Mais aucun producteur ne fait assez confiance au jeune réalisateur pour produire un tel projet. Tous sauf, Georges de Beauregard, qui accepte de produire le film à moindre coût, ce qui pousse Demy à renoncer à la fois au côté musical du film, mais aussi à la couleur. Ainsi, le titre change et devient Lola. Le tournage commence en 1960 pour sortir l’année suivante. Salué par les critiques et le public, il est à la fois, la première collaboration entre Demy, et le compositeur Michel Legrand, et le premier volet d’une trilogie. Le second film est l’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui : Les Parapluies De Cherbourg.

Première œuvre, première réussite

ACTE 2 : Un film en-chanté

Jacques DEMY à propos des Parapluies de Cherbourg dans l’émission Cinépanorama du 8 février 1964 :

QUESTION : Les gens s’interrogent déjà, qu’elles sont ces parapluies de Cherbourg ? Une comédie musicale ? Un opéra ? Quelle est votre opinion Jacques Demy ?

JACQUES DEMY : Hé bien, c’est un film entièrement chanté. Enfin, je crois que c’est qu’on peut dire de plus précis.

QUESTION : Quel a était la genèse de l’histoire ? Comment est-ce que cette idée qu’il faut bien appelée insolite, vous est venue ?

JACQUES DEMY : Oh ça, les idées, on ne sait pas trop comment elles viennent, ou elles naissent…

QUESTION : Ça, vous ne savez pas vous ?

JACQUES DEMY : Ah non, pas du tout, non. On a peut-être des moyens de les susciter. Mais, on ne sait pas d’où elles viennent vraiment, sinon que Michel Legrand est un ami, qu’il aime beaucoup le cinéma et que j’aime beaucoup la musique.

En 1961, Il commence l’écriture de la « suite » de Lola. À l’origine, le film n’a rien de musical. C’est Michel Legrand, ami et compositeur de son premier long métrage, qui a l’idée d’en faire une comédie musicale, avec des dialogues chantés. Le duo commence alors l’écriture des paroles et la composition des musiques. En mai 1962, Demy se rend au Festival de Cannes, en quête d’un financeur pour le film, mais l’échec des comédies musicales hollywoodiennes sur le territoire français effraie les producteurs. Ces derniers voient dans Les Parapluies De Cherbourg un futur échec commercial.

Il se tourne donc vers un ami metteur en scène, qui l’encourage à prendre contact avec Pierre Lazareff, patron de France-Soir. Ce dernier lui présente la productrice Mag Bodart, qui est immédiatement séduite par le projet musical. Pierre Lazareff réussit à convaincre la FOX d’apporter les premiers fonds. D’autres financements proviennent d’une négociation avec l’Allemagne, qui demande à ce que le rôle de Madeleine soit confié à Ellen Farner.

Dès le début, Catherine Deneuve dans le rôle principal est une évidence mais, la jeune actrice, enceinte, est indisponible. Cela ne dérange pas Jacques Demy, qui accepte de reporter le film. Touchée par la confiance du réalisateur, Deneuve accepte le rôle. Guy, l’amant de Geneviève, est joué par l’italien Nino Castelnuovo. Marc Michel reprend le rôle de Roland Cassard, personnage faisant lien entre Les Parapluies De Cherbourg et Lola. Avoir des acteurs de différentes nationalités n’est pas un problème, le film étant entièrement chanté, il est inutile pour Jacques Demy de trouver des voix proches de celles des acteurs. Le tournage est donc fait en playback, les acteurs doivent s’adapter aux rythmes des chanteurs, qui ont eu pour consigne d’éviter le côté opératique. Le réalisateur fait une nouvelle fois appel à ses condisciples des Beaux-Arts de Nantes, Jacqueline Moreau pour les costumes et Bernard Evein pour les décors.

 

Un tournage que Jacques Demy qualifie de « joyeux »

 

ACTE 3 : Une narration en 3 actes

Les Parapluies De Cherbourg est un film entièrement chanté. Les dialogues suivent le rythme des compositions de Michel Legrand. Contrairement aux Demoiselles de Rochefort, Il n’y a pas de chorégraphie, puisque derrière ce parti-pris surréaliste, l’histoire se veut réaliste. Avec ce film, Jacques Demy est l’un des rares réalisateurs à parler de la guerre d’Algérie au cinéma.

  • Le départ
  • L’absence
  • Le retour

La structure du film étant assez particulière, nous souhaitons analyser l’œuvre, plus en profondeur. Nous vous recommandons donc d’arrêter votre lecture et de regarder le film. Ce dernier est disponible sur Netflix, mais vous pouvez poursuivre votre lecture, si les spoils ne vous gênent pas.

ACTE I : LE DÉPART

Le premier personnage présenté est Guy, jeune mécanicien qui termine sa journée de travail. Il refuse de faire des heures supplémentaires pour rejoindre sa petite-amie Geneviève. La mère de cette dernière est la propriétaire des parapluies de Cherbourg, une boutique au bord de la faillite. Geneviève cache sa relation avec le jeune homme par peur de la réaction de sa mère. Le jeune homme, lui, vit avec Élise, sa tante malade. Les jeunes amants souhaitent se marier et ouvrir une station d’essence pour vivre simplement. Leurs projets sont annulés lorsque Guy est contraint de partir faire son régiment en Algérie. Le premier acte se conclut par le départ de Guy et les sanglots de Geneviève.

 

« J’ai tellement peur quand je suis seule » – Geneviève à Guy

ACTE II : L’ABSENCE

Ce second acte suit le quotidien de Geneviève suite au départ de Guy. La jeune femme découvre quelques mois après qu’elle est enceinte. Le temps passe et les lettres de Guy se font de plus en plus rares. La jeune femme subit des pressions de la part de sa mère, afin qu’elle accepte la demande en mariage de Roland Cassard, un homme d’affaires de passage à Cherbourg, uniquement pour ses beaux yeux. Elle accepte la demande en mariage du bourgeois, perdue et effrayée. Néanmoins, elle est rassurée d’apprendre que Cassard est prêt à élever son enfant comme étant le sien. L’acte 2 se termine sur un plan de Madeleine, infirmière de la tante de Guy, apercevant le mariage et le départ de Geneviève pour Paris.

 

«  Je n’ai pas le choix, vous êtes mon roi » – Geneviève à Cassard

ACTE III : LE RETOUR

Le dernier acte est consacré au retour de Guy en ville. Il se rend aux parapluies de Cherbourg et découvre que la boutique a changé de propriétaire. En rentrant chez lui, il apprend pour le mariage et le départ de Geneviève. Il traverse par la suite une dépression, devenant irritable et amer. Il traine comme un voyou dans les rues de Cherbourg et se fait renvoyer de son travail. À la mort de sa tante Élise, il commence à fréquenter Madeleine. Il trouve une certaine stabilité grâce à elle et finit par lui demander sa main. Le film se conclut par un épilogue, se déroulant des années plus tard, présentant les retrouvailles de Geneviève et Guy, qui renoncent à leur amour d’antan. Ils repartent chacun de leur côté avec leurs souvenirs, acceptant chacun leurs nouvelles vies.

 

« Ce n’est pas ma faute, depuis que je suis revenu, je ne comprends plus ce qui se passe » – Guy à Madeleine

ACTE 4 : Analyse des tourtereaux

Geneviève

Honneur aux dames ! Geneviève est la fille de Mme Émery. Elle prétend avoir 17 ans, alors que sa mère affirme qu’elle en a 16. Elle représente la pureté aux yeux de sa mère et de Roland Cassard, alors que celle-ci rejoint pourtant Guy en cachette. Elle est aussi capable de tenir tête à sa mère, comme lorsqu’elle celle-ci lui demande comment elle a pu tomber enceinte de Guy.

 

Geneviève : Je suis enceinte, maman.

Mme Émery : C’est épouvantable, enceinte de Guy… comment est-ce possible?

Geneviève : Rassure-toi, comme tout le monde

Titre de la chanson : Dans le magasin — Geneviève et Mme Émery

Dans plusieurs chansons, Geneviève montre qui lui est impossible de faire le moindre choix, au début du film, un barman lui demande ce qu’elle désire, elle lui répond simplement : « Un machin pressé » sans prendre la peine de consulter le menu, ou encore durant l’épilogue, quand le pompiste lui propose deux carburants :

 

Pompiste : Est-ce que je fais le plein pour madame?

Guy : Geneviève?

Geneviève : Oui le plein.

Pompiste : Super ou ordinaire?

Geneviève : Peu importe…

Pompiste : Bah c’est comme vous voudrez… Super?

Geneviève : Oui.

Titre de la chanson : Final — Geneviève/Guy/Pompiste

 

Le « Super » représenterait Roland Cassard, l’homme riche et influent, « l’Ordinaire » quant à lui serait Guy, l’ouvrier vivant simplement de son dur labeur. Beaucoup perçoivent dans ce dialogue, une critique de la lutte des classes, d’autres voient aussi ce final comme une punition pour Geneviève, la jeune bourgeoise est en deuil, et semble malheureuse dans son mariage, alors que Guy, le prolétaire, est heureux avec Madeleine et leur fils.

Mais ce serait oublier, la situation délicate que vit Geneviève durant l’absence de Guy, le jeune homme est parti en Algérie pour deux ans, et ne donne que très peu de nouvelles, quand il en donne c’est pour parler de l’éventualité d’un prolongement de la guerre, sa famille est endettée, et surtout, il faut que l’enfant à naitre soit à l’abri du besoin, c’est donc la pression sociale qui la pousse dans les bras de Roland Cassard.

Mme Émery : Ce n’est pas moi qui aurais la fève.

Geneviève : C’est moi qui l’ai.

Mme Émery : Alors il faut tout de suite choisir un roi, et faire un vœu.

Geneviève : Je n’ai pas le choix… Vous êtes mon roi. 

Titre de la chanson : Le dîner – Geneviève/Mme Émery/Roland Cassard

 

Cette chanson est la représentation de la pression qu’exerce sa mère sur elle, le contexte est simple, Roland Cassard est invité à dîner, ils mangent une galette des rois en guise de dessert, Geneviève qui tombe sur la fève n’a d’autre choix que de choisir Cassard comme roi, c’est donc à ce moment-là qu’elle est condamnée à devenir sa femme, puisqu’à la suite de ce repas, Roland Cassard demandera la main de Geneviève à Mme Émery.

 

« Vous ressemblez, Mademoiselle, à cette vierge à l’enfant que j’ai vu à Anvers » – Cassard à Geneviève

 

Guy

Guy travaille dans un garage, il n’est pas riche, il n’est même pas propriétaire puisque le jeune homme vit avec sa tante Élise. Le film laisse supposer, que c’est lui subvient au besoin de sa tante. Il a un comportement assez paradoxal, il reproche à Geneviève d’être trop « lâche » pour parler de leur mariage à sa mère, mais de son côté ne semble même pas avoir parlé de la jeune femme à sa tante.

 

Guy : Je sors ce soir.

Elise: Seul?

Guy : Ça ne te regarde pas.

Elise: Si ça me regarde

Guy : Avec une jeune fille..

Elise: Que tu aimes?

Guy : Ça s’pourrait

Elise: Dis-moi la vérité!

Guy : Oui, je l’aime

Titre de la chanson : Dans l’appartement d’Élise — Élise/Guy/Madeleine

 

Puis vint le moment pour Guy de partir en Algérie, bien que « le régiment ne soit pas la guerre » selon Mme Émery, le jeune homme revient deux années plus tard blessé et amer. Le garçon rêveur et souriant, se comporte désormais comme le dernier des voyous, allant jusqu’à se faire renvoyer de son travail, trainant dans les rues de Rochefort et couchant avec la première venue.

 

Guy : Excuse-moi Madeleine, je n’avais pas ma clé. Mais qu’est-ce que tu as?!

Madeleine : Élise est morte! Cette nuit.

Titre de la chanson : Guy au Café—Guy/Madeleine

 

C’est en apprenant la mort de sa tante que Guy retrouve ses esprits, et se rapproche de Madeleine cessant de se morfondre, on le retrouve heureux durant l’épilogue, il a un fils, et est marié à Madeleine. Il n’a néanmoins jamais oublié Geneviève, son fils s’appelant François (Françoise étant le prénom de la fille qu’il a eu avec son premier amour). Quand Geneviève se présente à la station-service, il renonce à son amour d’antan et à sa fille, choisissant Madeleine et la vie heureuse qu’il mène avec elle et son fils depuis quelques années. Certains spectateurs sont choqués par le geste du père qui renie sa fille, mais c’est oublié que Françoise est une étrangère pour Guy, et ce dernier en est un pour elle.

 

« Je crois que tu peux partir » – Guy à Geneviève

 

ACTE FINAL : Pourquoi une fin aussi douloureuse?

L’amour entre Geneviève et Guy est réel, il est pur, si les circonstances avaient été différentes, le jeune couple aurait fini marié et aurait eu pleins d’enfants. La guerre d’Algérie est à l’origine de leurs séparations, c’est elle la véritable cause de la trahison de Geneviève. Jacques Demy a sûrement voulu apporter un peu de réalisme dans son film « en-chanté » : tous les couples n’ont pas survécu à la guerre, et la mort n’est pas le seul facteur qui sépare deux êtres qui s’aiment. La fin n’est pas si triste que ça, Guy a retrouvé l’amour et réalisé ses rêves, Geneviève est devenue une bourgeoise qui ne manque de rien. Ils ont tous les deux trouvé une certaine stabilité.

 

Le mot de la fin de StIV

Les parapluies de Cherbourg est un film incroyable ! Jacques Demy avait déjà montré ses talents de metteur en scène dans Lola, mais le voilà dans l’univers de la comédie musicale ! Il est impossible d’en ressortir sans avoir ressenti une quelconque émotion. Vous allez surement pleurer, être envouté par la beauté des musiques, mais je vous garantis que le visionnage en vaut la peine, une excellente porte d’entrée dans le monde de la comédie musicale.

J’ai choisi ce film, puisqu’il s’agit du premier film musical de Demy, c’est le réalisateur qui m’a fait aimer la comédie musicale, il est donc normal que je lui rende hommage dans ce premier numéro de « Que le spectacle commence »

Cette série d’articles sur les musicales ne sera pas consacrée uniquement à des films que j’aime. Non, je compte aussi traiter de mauvais films musicaux, d’œuvres qui font honte à la musique elle-même. Prochainement, nous parlerons du second film musical de Jacques Demy, une production où l’amour se trouve à chaque coin de rue, où l’idéal féminin apparaît sous plusieurs formes : de la toile d’un artiste poète, aux notes perdues d’une jolie compositrice. L’histoire de deux sœurs jumelles, nées sous le signe des Gémeaux et d’un amour perdu au bord du Pacifique.

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